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“Une nouvelle approche de l’Art”

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La redécouverte de Louis Janmot, symboliste lyonnais, est à l’honneur au musée parisien qui consacre une exposition à l’auteur du « Poème de l’âme ». Cette grande œuvre du XIXᵉ siècle se compose de dix-huit toiles et seize dessins, accompagnés de 2 814 vers, résultant de plus de quatre décennies de travail empreint d’un académisme rigoureux.

Janmot a intégré l’École des Beaux-Arts de Lyon en 1831, avant de rejoindre l’atelier parisien d’Ingres en 1833, puis de le retrouver à Rome en 1836. Il a adopté une approche méthodique et soignée dans son art, dessinant et peignant selon les conventions du néoclassicisme, qui s’est transformé en académisme. Ses œuvres, caractérisées par une précision dans les proportions et des plis idéalement arrondis, démontrent une rigueur dans les études et les esquisses préparatoires. Les gestes dans ses compositions sont mesurés, les couleurs sont retenues sans excès, et la lumière est délicatement nuancée, évitant tout contraste trop marqué.

Le plus gros projet de sa vie se concrétise au milieu des années 1850, avec la création d’un ensemble de 34 tableaux accompagnés d’un long poème destiné à illustrer et narrer chaque image. Cet ensemble, intitulé « Le Poème de l’âme », est dévoilé lors de l’Exposition Universelle de 1855. Malheureusement, il est profondément affecté par le manque de succès de son œuvre, pour laquelle il s’était presque ruiné. Il y exposait l’essence de ses tourments, notamment l’idée que l’âme humaine est constamment en quête d’un idéal sur Terre. Il critique sévèrement la dure condition humaine, condamnée à souffrir d’un mal romantique ou d’une folie inexprimable, contenue dans le corps sous la forme de spleen. La même année, il épouse Léonie de Saint-Paulet, issue d’une famille noble de Carpentras (PACA). Peu après, il devient professeur aux Beaux-Arts de Lyon pour une courte période avant de s’établir définitivement pour fonder une famille de sept enfants.

Au cours des années 1870, Louis Janmot fait la rencontre de Félix Thiollier, un collectionneur d’art et érudit de Saint-Étienne, qui est également photographe. Thiollier décide de publier le « Poème de l’âme », devenant ainsi le principal bienfaiteur de Janmot. Il lui apporte un soutien crucial, assurant la pérennité de son art. Malgré cela, le succès de Janmot reste modeste au regard de l’ampleur de son œuvre, qui vise à fusionner l’art pictural et la poésie. La synergie entre le texte et l’image constitue un champ d’exploration sans limites. Janmot met en lumière les qualités propres à chacun de ces médiums, ce qui rend la comparaison avec William Blake pertinente. En effet, l’intensité de l’imaginaire unique de Janmot s’exprime de multiples manières, cherchant à communiquer une même détresse et une même essence vitale.

Il est indéniable que l’œuvre du peintre lyonnais s’inscrit dans un contexte marqué par des tensions religieuses. Le XIXe siècle, époque de contradictions, est rythmé par des révolutions et des révoltes populaires, tandis que le catholicisme connaît un renouveau. Dans ce siècle agité, de nombreux artistes entreprennent une quête spirituelle intense et productive. Avec le gouvernement de plus en plus distant vis-à-vis de la religion, celle-ci devient une source d’inspiration croissante pour l’art, se muant en une ressource nouvelle. Il convient de noter que, vingt ans plus tard, en 1905, l’État français se sépare officiellement de l’Église. Cette période annonce l’avènement de ce qu’Auguste Viatte a qualifié de « catholicisme romantique », concept qui peut être interprété comme une émotion spirituelle ancrée dans une foi profonde. Chez Janmot, cette dimension spirituelle prend la forme d’une piété inspiratrice et s’inscrit dans un parcours initiatique que l’artiste explore en quête de reconnaissance ou, plus profondément, de l’essence même de l’art absolu.

Berthe de Reyssac joue un rôle crucial dans la vie de Louis Janmot, entretenant avec lui une relation étroite. À l’âge de 16 ans, elle est accueillie par la famille de Janmot, où elle saisit l’opportunité d’apprendre le dessin et la peinture sous sa tutelle. Ultérieurement, elle organise un salon littéraire et artistique fréquenté par Janmot, où il a l’occasion de rencontrer des figures telles qu’Henri Fantin-Latour et Odilon Redon. Ainsi, Janmot n’évolue pas en solitaire mais au sein d’un cercle restreint qui le stimule continuellement à se surpasser. Cet environnement est source d’inspiration et le pousse, parfois même le contraint, à produire la centaine d’œuvres qui nous sont parvenues. Ce contexte éclaire également l’angoisse qui marque la fin de sa vie, sous le Second Empire et pendant la Commune. Ses œuvres, considérées en elles-mêmes, témoignent d’une réflexion théorique préalable à l’acte créatif. Janmot, tel un artisan, préparait ses propres mélanges de pigments pour atteindre la nuance et l’épaisseur idéales avant même de conceptualiser les images qui se matérialiseraient en œuvres désormais exposées au musée des Beaux-Arts de Lyon.

L’œuvre de Louis Janmot se cristallise autour de trois thèmes majeurs : d’abord, le royaume divin, symbolisant le monde d’en haut ; ensuite, l’enfance, perçue comme exilée dans le monde terrestre ; et enfin, le rôle protecteur des Anges, faisant le lien entre ces deux mondes. Les peintures de Janmot semblent faire écho aux écrits de Lamartine ou de Chateaubriand, partageant des idées similaires à cette même époque. Ses tableaux, envisagés comme les mouvements d’une symphonie, expriment le désir ardent de l’âme humaine de s’élever vers l’infini et illustrent le périple de l’homme vers l’idéal, une route jonchée de périls mais sous la vigilance bienveillante des anges gardiens. Janmot entrelace le romantisme — avec ses passions, ses plaintes, et son ancrage dans le réel —, le symbolisme — par son esthétisme —, et le préraphaélisme — avec son objectif fonctionnel et moralisateur. Malgré son message ambitieux, son art n’a jamais réellement rencontré un écho favorable auprès du grand public. Il propose une œuvre déconcertante, car elle nous interpelle directement, nous plaçant dans une zone de confort par l’évocation de thèmes et d’idéaux familiers, tout en introduisant subtilement des éléments de surprise — un regard captivant, une émotion inattendue, une couleur ou une nuance particulière — qui éveillent notre curiosité.

Timothée Bertrand
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