Zoom’Art Magazine

“Une nouvelle approche de l’Art”

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A peine l’avons-nous effleuré que nous quittons déjà le printemps pour nous diriger vers la chaleur de l’été… Et si nous revenions en avril quelques instants avec Maurice Denis pour nous pencher sur un de ces plus beaux tableaux : Avril (Anémones) ?

Nous sommes en 1891, Maurice Denis, peintre nabi, cherche encore son style et tente des expérimentations picturales, comme le pointillisme par exemple. La nature, les saisons l’inspirent. En particulier le printemps, période à haute connotation spirituelle pour le fervent religieux qu’il est. Il est pour lui le symbole de la renaissance et de l’exaltation des sentiments.
Le jeune peintre de 21 ans est amoureux. Marthe Meunier, qui lui servira souvent de modèle, et avec qui il entretient une relation, deviendra sa femme deux ans plus tard. C’est dans ce contexte d’épanouissement sentimental, qu’il réalise Avril (anémones), une petite huile sur toile.

Derrière un grand hêtre blanc se dévoile une scène d’une poésie énigmatique : l’on y distingue un chemin qui serpente entre les arbres, des personnages féminins accroupis cueillant des fleurs, puis à droite, un couple qui nous fait dos et s’éloigne pour s’enfoncer dans les bois.
Les jeunes femmes filiformes vêtues de blanc sont un motif récurrent dans les travaux de Maurice Denis. Ici elles évoluent dans une forêt dense au sein d’une composition qui se divise en trois parties : une section du tableau, un univers, par femme.

Les fleurs que cueillent les jeunes femmes sont des anémones. Elles tapissent, au printemps, le sol de la forêt de Saint-Germain-en-Laye – une des sources d’inspiration principales du peintre – mais au-delà de l’aspect esthétique elles ont également une signification. Les anémones, dont le nom signifie fille du vent sont le symbole de l’abandon. Ici elles sont blanches. Le peintre chercherait-il à nous parler de l’abandon de l’innocence, d’une période de vie pure et naïve ?

Pour résoudre l’énigme de ce tableau nous devons nous pencher sur les trois silhouettes réparties de gauche à droite, de la lumière vers l’ombre, du passé vers l’avenir :

La première jeune femme, se fondant presque dans le paysage malgré sa robe blanche immaculée, matérialisation de la pureté, est agenouillée et se consacre à la méticuleuse cueillette des anémones sauvages. Son visage n’est pas identifiable mais ses formes sont douces et son visage frais et rosé.

La seconde est également le personnage central du tableau. C’est sur elle que l’attention se concentre : elle est le présent. Ou du moins la situation présente de son modèle préféré : celle qui sera sa future épouse. Elle est apprêtée, séductrice, tentatrice. Une couronne dorée orne son front, sa robe n’est plus blanche mais grise, elle se démarque légèrement du paysage par les contours tracés pour cercler sa silhouette et une écharpe couleur d’ébène décore son cou, semblable à un serpent. Serpent qui nous remémorera la représentation biblique d’Eve et du serpent, image de la tentation. Sa posture est différente également. Elle se redresse légèrement, ses genoux ne touchent plus terre. Elle prend de la distance avec la nature et entre ses mains trônent déjà quelques fleurs qu’elle a récoltées.

Enfin, le couple à droite, sont les seules figures qui se distinguent de manière tranchée du paysage naturel dans leurs habits de couleur noire. L’homme, protecteur, tient la femme par l’épaule, et un parapluie renforce encore leur union plastique et chromatique. Ils se fondent l’un dans l’autre pour ne faire plus qu’un.

Quant au décor, à la manière des forêts de correspondances de Baudelaire, il est rempli de symboles et s’associe aux personnages pour renforcer le récit du peintre : nous passons progressivement d’un chemin lumineux et verdoyant aux tonalités chaudes ; à un chemin étroit et cerclé par des ronces ; puis à un espace sombre aux valeurs moins contrastées, comprimé dans une région réduite de la toile.

Même les arbres collaborent dans l’illustration de cette allégorie parfaitement théâtralisée. Ils sont les échos paisibles de la psychologie des figures qu’ils avoisinent, tels les miroirs de leur âme : la jeune fille du fond est en harmonie avec un tronc couleur crème qui est grignoté en sa racine par une cicatrice sombre. L’arbre mitoyen à la femme à la robe grise est, comme elle, plus foncé, la végétation s’est emparée de lui et un orifice circulaire orne sa base. Les tableaux de Maurice Denis, bien qu’empreints de thèmes religieux intégraient souvent aussi des connotations sexuelles et ces arbres creux en leur base ne peuvent nous empêcher de penser à cette caractéristique des œuvres du peintre.

Une jeune femme vierge et pure, une femme mûre et tentatrice, puis un couple uni qui s’éloigne dans le lointain : ainsi sont développées sous nos yeux les trois étapes de la vie d’une femme selon Maurice Denis qui, à l’aube de son idylle, s’interroge sur les relations amoureuses et leur aboutissement. Le chemin dessiné ici n’est autre qu’une ligne de vie.

Nous aussi nous circulons dans ce cycle, chacun à notre façon, selon nos envies et nos désirs profonds. Mais que l’on partage ou non la vision de Maurice Denis il est une citation que nous ne devons oublier : Vivez si m’en croyez, n’attendez à demain. Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie, disait le poème de Ronsard. Alors, à la manière de ces jeunes femmes gravées sur la toile, nous aussi – hommes ou femmes -, cueillons les fleurs de la vie ! Profitons de chaque instant et voyons bien où nous mènera notre chemin…

Lisa Deparis
Critique d’art

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